Quand les hydravions faisaient rêver le monde entier
Dans les airs comme en mer
Dans les années 1930, les voyages en hydravion version grand standing étaient bien plus prisés qu’on ne l’imagine. On y dormait dans des cabines feutrées, on y dînait dans de la porcelaine fine, servi par du personnel en gants blancs… et l’on atteignait sa destination en un temps record, hublots ouverts sur le monde.
Ils ont fait rêver des générations de voyageurs. Partez à la découverte de ces véritables icônes du ciel et de leurs héritiers contemporains.
Adaptation française par Aurélie Blain
1923 : Dornier Wal
L’âge d’or de l’hydravion débute avec le Dornier Wal, surnommé la « baleine ». Il est développé par le constructeur allemand Dornier Flugzeugwerke, fondé à Friedrichshafen par Claude Dornier.
Cet appareil entièrement métallique est équipé de deux moteurs montés en tandem sur une aile haute de type parasol et peut transporter 12 passagers. Son autonomie étant limitée, certaines liaisons long-courriers, vers l’Amérique du Sud notamment, nécessitent une escale en mer : un navire récupère alors l’avion à mi-parcours et le hisse à bord pour le ravitailler, avant de le relancer à l’aide d’une catapulte (en photo).
1923 : Dornier Wal
Malgré ses performances limitées, le Dornier Do J séduit rapidement plusieurs compagnies aériennes à travers le monde, de l’Allemagne au Japon en passant par l’Italie, le Brésil ou la Colombie.
À une époque où les pistes d’atterrissage sont encore rares, le Dornier Wal libère l’aviation de cette contrainte : un simple plan d’eau lui suffit pour se poser. L’appareil est ici amarré au large de Kupari, un village de l’ex-Yougoslavie aujourd’hui situé en Croatie.
1926 : Dornier Superwal
Fort du succès du Wal, Dornier développe un appareil plus imposant : le Do R, plus connu sous le nom de Superwal. Doté de quatre moteurs (toujours en tandem) et d’un fuselage allongé, il peut transporter jusqu’à 19 passagers.
Le Superwal effectue son vol inaugural le 30 septembre 1926. Il s’impose rapidement comme un rival du zeppelin (visible ici) dans le paysage des transports rapides de l’entre-deux-guerres.
1926 : Dornier Superwal
Au total, seuls sept Superwal sont construits pour la Deutsche Lufthansa, dont un, surnommé non sans humour « le narval ». Plus spacieux, cet appareil ne rivalise toutefois pas encore avec le niveau de raffinement des modèles qui suivront.
Pour alléger l’appareil, la cabine est équipée de bancs en osier. Les passagers, eux, doivent faire preuve d’agilité pour embarquer par les entretoises inférieures — comme en témoigne cette photo.
1929 : Dornier Do X
1929 marque un tournant pour Dornier, qui lance le Do X : un monstre des airs de 48 mètres d’envergure, 40 mètres de long, mû par 12 moteurs. Il s’agit alors de l’hydravion le plus imposant jamais construit.
Sept ans de conception, deux ans de construction : le projet est titanesque. Son concepteur, le Dr Claudius Dornier, réalise pour l’occasion la toute première maquette en bois grandeur nature de l’histoire de l’aviation, afin de tester la viabilité de l’appareil.
1929 : Dornier Do X
Le Do X est conçu pour transporter 66 passagers sur de longues distances et jusqu’à 100 personnes sur des trajets plus courts. Ses dimensions impressionnantes permettent d’offrir un niveau de confort comparable à celui des paquebots transatlantiques les plus luxueux de l’époque.
Il possède trois ponts, dont le pont principal comprend un fumoir avec bar intégré (en photo), une salle de restauration et de somptueux sièges transformables en couchettes pour les vols de nuit.
1931 : Sikorsky S-40
En 1931, l’ère des hydravions commerciaux s’ouvre aux États-Unis avec l’arrivée du Sikorsky S-40. Conçu pour Pan American Airways, cet appareil à quatre moteurs se veut un véritable paquebot des airs.
Le premier S-40 est baptisé « The American Clipper » le 10 octobre 1931 par la Première dame Lou Hoover, épouse du président Herbert Hoover. Prohibition oblige, c’est une bouteille remplie d’eau provenant de la mer des Caraïbes qui est utilisée et non de champagne.
1931 : Sikorsky S-40
Les cabines des Sikorsky S-40 (ici en photo) sont décorées de panneaux en bois qui rappellent celles des paquebots, ce qui leur vaut le surnom de « clippers ». Pour accentuer cette atmosphère de croisière, la Pan Am fait porter à tout l’équipage des uniformes inspirés de la marine dans l’idée de rassurer les passagers et d’affirmer un certain professionnalisme.
L’objectif est aussi de faire de l’avion de ligne une alternative crédible au paquebot. Cette stratégie portera ses fruits : le terme « clipper » deviendra la norme, même après le remplacement des Sikorsky S-40 par des modèles plus aérodynamiques signés Glenn L. Martin et Boeing.
1935 : Martin M-130
Cependant, Pan American Airways ne sera jamais pleinement satisfaite des Sikorsky S-40, jugés trop encombrants et peu performants en termes de vitesse, d’autonomie et de consommation. En 1935, elle se tourne vers la Glenn L. Martin Company, à Baltimore, dont les hydravions M-130 vont enfin permettre de conquérir les océans du monde entier.
Inspirés des Dornier allemands, les flotteurs des M-130 sont intégrés au fuselage, ce qui améliore nettement leur rendement. Sur cette photo, le M-130, baptisé « Hawaiian Clipper », reçoit la bénédiction de chefs insulaires à Pearl Harbor.
Vous aimez ce contenu ? Ajoutez un like et cliquez sur Suivre en haut de la page pour lire d’autres articles passionnants signés loveEXPLORING.
1935 : Martin M-130
Le M-130 peut accueillir 46 passagers lorsqu’il vole en journée. Mais sur les long-courriers transocéaniques de Pan Am, il vole le plus souvent de nuit, avec 30 passagers installés dans trois compartiments de 10 couchettes.
Quelle que soit la configuration choisie, le légendaire salon-salle à manger reste le point central au centre de l’appareil. On voit ici des passagers qui profitent d’un dîner raffiné, quelque part au-dessus du Pacifique.
1935 : Latécoère 521
Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, la ville française de Biscarrosse se mue en base stratégique pour les hydravions. Établie à Toulouse non loin de là, la Société industrielle d’aviation Latécoère y voit une opportunité et lance, le 10 janvier 1935, le Latécoère 521, alors le plus grand avion jamais construit en France.
Le Latécoère 521 est un hydravion à double pont équipé de six moteurs, conçu par Pierre-Georges Latécoère. Avec ses airs de pélican un peu maladroit, il affiche 31 mètres de long, 9 mètres de haut et une envergure de 49 mètres.
1935 : Latécoère 521
Le Latécoère 521 est conçu pour transporter 72 passagers sur des liaisons transméditerranéennes. Le pont principal compte alors la cabine du commandant, un salon pouvant accueillir 20 voyageurs, six cabines doubles ainsi qu’une cabine arrière d’une capacité de 22 passagers.
Le salon et le bar du pont supérieur, visibles sur cette illustration, révèlent un intérieur à la française, à la fois raffiné et luxueux.
1936 : Short Empire
Pour la Grande-Bretagne, les hydravions représentent une solution idéale pour relier les vastes territoires de son empire. En 1936, Imperial Airways (devenue plus tard BOAC) commande à Short Brothers, basée dans le Kent, un hydravion capable de desservir ses lignes internationales.
L’entreprise crée alors le Short Empire, un hydravion monoplan quadrimoteur à moyenne portée. On le voit ici en 1939 amarré à Pinkenba, sur la rivière Brisbane d’une fort lointaine Australie.
1936 : Short Empire
La ligne vers l’Australie, qui passe par le Moyen-Orient et l’Inde, est la plus longue de toutes. Imperial Airways assure alors trois vols par semaine, chacun atteignant Sydney après dix jours de voyage et neuf escales nocturnes.
Les passagers du Short Empire bénéficient toutefois d’espace et d’un confort notable (comme on peut le voir sur cette photo), aujourd’hui inimaginables. En parallèle, les besoins logistiques liés aux liaisons coloniales imposaient de consacrer une part importante de l’appareil au transport du courrier et du fret.
1938 : Boeing 314 Clipper
L’arrivée en 1936 du Boeing 314 Clipper marque l’apogée de l’âge d’or des hydravions de l’entre-deux-guerres. Lauréat d’un concours organisé par Pan Am assorti d’une récompense de 50 000 dollars (l’équivalent de près d’un million d’euros aujourd’hui), le 314 s’impose grâce à son autonomie exceptionnelle de 5 633 km, qui surpasse alors les Sikorsky S-40 et Martin M-130.
Comme l’illustre cette affiche glamour qui fait la publicité du Boeing 314 « Honolulu Clipper », les destinations exotiques, autrefois lointaines, deviennent enfin accessibles, qui plus est dans un luxe et un style inégalés jusqu’alors.
1938 : Boeing 314 Clipper
Quand un passager d’aujourd’hui se contente d’environ 50 cm² en vol, celui d’un Boeing Clipper de Pan Am bénéficiait de 2 m² d’espace personnel.
À bord, seule la première classe est proposée. Repas en six services, porcelaine fine, cabines-lits avec cabinet de toilette la nuit… À l’arrière de l’avion se trouve même une suite nuptiale, désignée sur cette coupe comme la « chambre Deluxe ».
1942 : Latécoère 631
Si la plupart des hydravions civils sont réquisitionnés à des fins militaires dès le début de la Seconde Guerre mondiale, la Société industrielle d’aviation Latécoère, basée à Toulouse, tente un ultime pari en 1942 avec l’imposant Latécoère 631.
Affichant un poids impressionnant de 79,4 tonnes, il est à l’époque le plus grand hydravion jamais construit. Doté d’une autonomie de 6 800 km, il semblait promis au rôle d’hydravion transatlantique par excellence. En réalité, il s’est révélé peu fiable et coûteux à exploiter. On voit ici un 631 amarré au large de Hythe, dans le sud-est de l’Angleterre.
1942 : Latécoère 631
À la mesure de ses dimensions, cet hydravion offre à ses 50 passagers un confort et un espace inégalés, sans doute indispensables pour assurer ce qui était alors le plus long vol commercial sans escale au monde entre Port-Étienne, en France métropolitaine, et Fort-de-France, en Martinique.
On peut voir ici une cabine de 631 équipée de fauteuils en cuir inclinables, reconstituée au musée de l’Hydraviation de Biscarrosse. Les tenues de soirée des passagers, elles aussi, témoignent d’un certain raffinement.
1952 : Saunders-Roe Princess
En 1952, le constructeur britannique Saunders-Roe tente une dernière fois de faire revivre l’âge d’or des hydravions de l’entre-deux-guerres. L’entreprise espère convaincre la compagnie nationale BOAC en concevant un hydravion de nouvelle génération, plus imposant et plus luxueux que les appareils d’avant-guerre tels que le Short Empire.
Saunders-Roe crée alors le SR.45 Princess, le plus grand hydravion tout métal jamais construit, un record qui reste inégalé à ce jour. Sur cette photo, on voit le premier prototype, le Princess G-ALUN, qui s’apprête à effectuer son vol inaugural sur l’île de Wight, le 22 août 1952.
1952 : Saunders-Roe Princess
Sur le papier, le Princess est capable d’assurer la liaison transatlantique entre Southampton, en Angleterre, et New York, en transportant jusqu’à 100 passagers dans un confort exceptionnel. Mais face aux retards liés au développement des moteurs turbopropulseurs, BOAC finit par perdre patience et choisit de miser sur les lignes entre aéroports desservies par l’avion à réaction De Havilland Comet.
L’essor des moteurs à réaction associé aux avancées dans les infrastructures aéroportuaires, notamment au niveau des pistes d’atterrissage, signe l’arrêt du projet Princess avant son entrée en service. L’ère des grands hydravions est révolue.
2017 : Dornier-Seastar
En 2017, Dornier renoue avec ses racines en lançant le Seastar, un hydravion en matériaux composites taillé pour le voyage d’affaires de luxe.
Dirigée par la famille Dornier et un groupe d’investisseurs chinois, la société Dornier Seawings a vite compris le potentiel de l’appareil : offrir aux cadres un accès direct à des destinations autrement difficiles d’accès par voie aérienne classique.
2017 : Dornier-Seastar
Bien plus compact que les hydravions Dornier des années 1930, le Seastar offre néanmoins un niveau de confort équivalent, surtout dans sa version VIP.
Sièges en cuir haut de gamme, généreux espace pour les jambes et les épaules, larges fenêtres inondant la cabine de lumière naturelle… tout est pensé pour le confort des passagers.
2026 : ICON A5
Les voyages luxueux en hydravion ont-ils un avenir ? En 2024, l’arrivée de l’ICON A5, présenté comme l’hydravion de sport amphibie le plus attendu au monde, a marqué l’émergence d'un appareil conçu non plus pour le transport de passagers, mais pour un usage individuel.
Ni avion commercial, ni appareil de transport en commun, l’ICON se positionne comme un véritable véhicule sportif… des airs et des mers. La marque a même fait appel au designer allemand Klaus Tritschler, ancien du groupe BMW, pour concevoir cet appareil.
2026 : ICON A5
Le résultat : un hydravion biplace aussi exaltant à piloter que polyvalent. Avec plus de 420 milles nautiques d’autonomie et une consommation réduite, l’A5 serait, selon ICON, le véhicule idéal pour les Américains désireux de rejoindre, le temps d’un week-end, les Bahamas, les îles San Juan, Catalina ou Nantucket.
Long de seulement 7 mètres pour 10 d’envergure, l’A5 n’a plus rien des géants de l’âge d’or des hydravions. Mais l’esprit de cette époque reste intact : cap sur les eaux lointaines et les envies d’évasion.
Vous avez aimé cet article ? Ajoutez un like et cliquez sur Suivre en haut de la page pour découvrir d’autres contenus fascinants signés loveEXPLORING.
Comments
Be the first to comment
Do you want to comment on this article? You need to be signed in for this feature